• Ces Tsiganes que l'on interna

     

    Qui étaient-ils ? Bohémiens ? Romanichels ? Egyptiens ? Manouches ? Sinté ? Gitans ? Kalé ? Gypsies ? Roms ? Yéniches ? etc., communément appelés aujourd’hui par nous - qui sommes pour eux des Gadjé - Tsiganes ou, administrativement, Gens du Voyage, expression qui n’a étrangement ni singulier ni féminin ; noter également la connotation dévalorisante du mot "gens".

    Préférerles  appellations  "Nomades" - que définit  la loi de  juillet   1912 - ou Voyageurs  ? 

    Je suis moi-même un grand  voyageur devant  l'Eternel...

    La 3ème République, qui les stigmatisa et les poussa dans les camps, ne se posa pas tant de questions. A compter du 16 juillet 1912 elle les appela  donc "Nomades" (voir ci-après). Enfant, j’ai souvent lu ce mot sur des plaques qui voulaient les empêcher d'installer leurs verdines sur les places ou les friches de nos villages.

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    Photo du Net. DR.

     

    Par cette loi de 1912, les municipalités pouvaient interdire leur stationnement sur tout le territoire de la commune. Depuis 1969, elles sont tenues de  les accepter au moins 48 heures.

    Les villes de plus de 5000 habitants doivent leur aménager des aires de stationnement.

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    D’où venaient-ils ?

    Peuple originaire de l’Inde qui, arrivé en Europe au Moyen Age, se serait alors divisé et dirigé vers différentes zones géographiques, d’où la formation de plusieurs groupes ethniques, parfois très différenciés ?

    En décembre 2010, à Ruffec (Charente), alors que je présentais le film Liberté, de Tony Gatlif, et que j'évoquais la supposée origine indienne des Tsiganes, je me fis violemment reprendre par un Voyageur qui affirma leur présence beaucoup plus ancienne en Europe. Il cita alors Hérodote (vers 482 av. J.-C - 420 av. J.-C., me  rappelle  mon dictionnaire) qui parle quelque part dans son œuvre d'un peuple nomade et forgeron, les Sigynnes. Mon censeur de Ruffec ajouta enfin à l'assemblée que ces Sigynnes étaient les ancêtres des Tsiganes actuels.

    P. Bataillard, dans le bulletin de la Société d'anthropologie de Paris (1875, volume 10, pp. 546 à 557) écrit qu' au temps d'Homère, ils étaient appelés Sinti...

    Pour moi, rien de certain, donc ! et je me contente de compiler ce que j’ai découvert dans les livres, et d’employer le conditionnel. J'accepte toute critique, prêt à corriger, à compléter, pourvu que la correction ou l'ajout soit argumenté.

    Essai d’historique pour expliquer ces appellations

    Un peuple aurait quitté le nord-est de l’Inde, vraisemblablement au Xème siècle, sans que l’on en sache la raison exacte : famine ?  conflits ?  mercenaires plus ou moins déportés par les Perses parce qu’ils étaient bons musiciens et que la musique aidait à dresser les chevaux pour la guerre ?

    Dominique Garrel propose une explication proche de la précédente : On ne connaît pas les raisons qui ont déterminé leur départ de l'Inde, mais d'après des textes mi-historiques, mi-légendaires, quelques milliers de Tsiganes auraient été envoyés par un roi de l'Inde à son cousin le roi de Perse pour exercer auprès de lui leur talent de musiciens.

    1 – Vers 950, les archives de la Perse ancienne parlent pour la première fois d’eux ; elles parlent de Zots musiciens. Ce peuple aurait continué sa marche vers l’ouest, et aurait atteint la Grèce vers le XIème siècle.

    Alain Reyniers, dans son ouvrage les Tsiganes, une minorité écartelée, écrit qu’ils étaient à Constantinople à partir de 1050. Il les signale en Serbie en 1348, et à Dubrovnik en 1362.

    2 – Certains se seraient installés en Grèce au pied du mont Gypte, région appelée Petite-Egypte. C’est pourquoi ils furent parfois dits Egyptiens, d’où dérivèrent Gypsies et Gitans.

    3 – N’étant pas de religion orthodoxe comme les autochtones, ils furent considérés comme appartenant à une secte hérétique, et  ils ne touchaient pas les personnes rencontrées. On pensa qu'ils faisaient partie de la caste indienne des Intouchables, Atsinganos, en grec, qui fut traduit par Tsiganes, ou Tziganes.

    Événement alors déterminant, ce peuple se serait divisé en trois grands groupes vers la fin du XIVème siècle, ou au tout début du XVème siècle.

    4 – Un groupe se serait dirigé vers l’Europe de l’Est, vers la Valachie, la Moldavie, la Russie… mis le plus souvent en esclavage, les hommes et les femmes attachés à des seigneurs, ou à l’Eglise. l'Eglise Moldave libéra ses esclaves en 1844, imitée en 1847 par l'Eglise de Valachie. Ils seraient les ancêtres des Roms.

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     Affiche annonçant la vente d’un premier lot d’Esclaves Tsiganes par licitation à midi au Monastère de Saint-Elie le 8 mai 1852, lot qui se compose de 18 hommes, 10 garçons, 7 femmes et trois filles en excellente condition.

    Cliché du Net. DR.

     

     5 – Un deuxième groupe se serait dirigé vers l’Europe du Sud (l’Espagne) et jusqu’en Afrique du Nord – que l’on pense atteinte par certains via l’Egypte. Ils auraient été le plus souvent sédentarisés de force. Les Gitans.

    6 – Un troisième groupe se serait dispersé dans l’Europe occidentale et septentrionale, restés le plus souvent itinérants. Les Manouches, encore appelés Sinté ou Sinté piémontais.

    Les premiers furent aperçus en France en 1419, près de Bourg (Ain).

    Les voici décrits par le Bourgeois de Paris lorsqu'il les découvrit pour la première fois du côté de Saint-Denis, le 17 août 1427. Pour situer cette date dans notre Histoire, se rappeler que Jeanne d'Arc mourut 4 ans plus tard.

    Décrits  par  le Bourgeois de Paris. J'ai conservé l'orthographe d'alors : ... les hommes estoient très-noirs, les cheveux crespez, les plus laides femmes que on pust voir, et les plus noires ; touttes avoient le visage de plaie, les cheveulx noirs comme la queüe d'ung cheval, pour touttes robbes une vielle flaussoie très-grosse d'un lien de drap ou de corde liée sur l'espaulle, et dessous ung povre roquet ou chemise pour tous paremens. Brief c'estoient plus pouvres créatures que on vit oncques venir en France de aage d'homme...

    7 – Lorsque des groupes de cette troisième vague traversèrent la Bohème, ils réussirent à se faire délivrer par le roi Sigismond des lettres de protection qu’ils présentaient là où ils s’installaient ;  d’où ce nom de Bohémiens qui leur fut  parfois donné.

    Sauf-conduit édité le 17 avril 1423 par Sigismond, roi tchèque :

    "Nous, Sigismond, roi hongrois… notre Ladislav, chef de son peuple tsigane, nous a demandé humblement de solliciter notre indulgence exceptionnelle… Or, si Ladislav et ses gens apparaissent à un quelconque endroit de notre empire, en ville ou à la campagne, vous êtes priés de lui faire preuve de la même fidélité que vous avez à notre égard. Protégez-les pour que Ladislav et son peuple puissent séjourner sans préjudice entre vos murs... " 

     

     

       Ces Tsiganes que l'on interna

       Tsiganes photographiés par Carl Durheims en 1852, à la demande de la Suisse (créée en 1848) qui veut les ficher pour savoir qui ils  sont. Lesnomade inquiète le sédentaire... .

    Copyright : Wider das Leugnen und Verstellen de M. Gasser, T. D. Meier et R. Wolfensberger (1998)

    8 – Au XVIIème siècle, apparut un quatrième groupe qui n’avait pas la même origine, mais qui allait adopter les mœurs des Manouches. Il y eut, et il y a toujours de nombreuses unions entre ces nouveaux nomades et les Manouches. Ayant perdu tous leurs biens pendant la terrible guerre dite de Trente Ans, la dernière guerre de Religion qui ensanglanta l'Europe de 1618 à 1648, ces familles ont fui l’Allemagne : ce sont les Yéniches, et ces derniers, contrairement aux Tsiganes d'origine indienne, peuvent être blonds et avoir les yeux bleus.

    Patrick Heugebert, dont un lointain parent a été interné dans le camp de Barenton (Manche), avant d'être transféré dans celui de Montreuil-Bellay où il est mort à 53 ans, le 18 janvier 1943, m'a récemment dit que tous deux étaient Yéniches, ajoutant qu'ils étaient des "Tsiganes blonds", définition que je découvre et que je trouve très intéres-sante.

    9 – Libérés de l’esclavage, certains Roms prirent la route et se dirigèrent vers l’Ouest. Ils entrèrent en France dans les années 1870, après avoir traversé l’Allemagne qui venait de naître (en janvier 1871), et l’Alsace et la Moselle annexées. Inquiets de cette « invasion », nos compatriotes organisèrent en 1895 le premier recensement des itinérants.

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    Le Petit Journal, 5 mai 1895.

     

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    Légende de cette carte postale indique : Expulsion du territoire  français d'une bande de Bohémiens.

    Une nouvelle vague de Roms arriva, à la suite de la révolution de 1917 en Russie. La plupart de tous ces nouveaux arrivés s’installèrent dans la banlieue parisienne.

    10 - Le 16 juillet 1912, la France distingua cette population, et l'on parla de Nomades gens qui n'avaient ni domicile fixe ni profession définie. Ils se différenciaient des Ambulants, qui avaient un domicile et une profession (commerçants citadins qui effectuaient des "tournées" dans les campagnes : épiciers, boulangers, bouchers...), et des Forains, qui n'avaient pas de domicile mais qui exerçaient un métier défini (sur les marchés ou les fêtes).

     

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                                                     Bohémiens rétameurs dans les Vosges (Photo du Net)

    Furent imposés aux nomades :

     - la fiche ou le carnet anthropométrique (avec photo de face et de profil, empreinte des dix doigts, diverses mensurations) qui est normalement imposé aux criminels.

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    - le carnet de circulation visé par la gendarmerie ou la mairie dans chaque commune où ils stationnaient.

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    Si les nomades, arrivant après la fermeture de la mairie, s'arrêtaient pour manger et dormir, ils étaient en état d'infraction. (François de Vaux de Foletier)

    - Une plaque minéralogique fixée à l'arrière du véhicule.

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    Ce furent ces nomades, distingués par ces trois obligations, qui furent internés pendant la Seconde Guerre mondiale suite au décret du 6 avril 1940.

    11 – De nouveaux Roms, dits Roms yougoslaves, arrivèrent en France à la fin des années 1980.

    12 – Enfin, depuis l’entrée d'anciens "Pays de l'Est" dans l’Europe, arrivent maintenant des Roms roumains et bulgares que Notre Président, au cours de l’été 2010, a décidé de renvoyer chez eux.

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    Les Manouches et les Roms, deux peuples différents. Un exemple, pour les mariages :

    - Chez les Manouches, les jeunes gens quittent discrètement les familles pour revenir trois jours plus tard. Le couple est alors reconnu par la communauté.

    - Chez les Roms, le mariage est convenu entre les pères.

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    Verdine sur une route du Saumurois. (Photo Jacques Sigot)

    A l'arrière-plan à gauche, la petite école du Coudray-Macouard où je fus instituteur pendant 22 ans. Peu après mon arrivée, en 1973, pendant une récréation, je vis mes élèves se précipiter en criant : Les Manouches, les Manouches ! J'ignorais ce mot, chez moi, en Beauce, on disait Romanichels. Ayant toujours un appareil photos sur moi, je courus pour rattraper la dernière verdine du convoi et pris cette image qui me rappelait les verdines hippomobiles de mon enfance, mais elles avaient alors des roues en bois ferrées.