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    Présentation orale de la scénographie

     

    Voir le sujet de la scénographie :

    http://jacques-sigot.blogspot.fr/2012/11/scenographie-sur-le-camp-de-montreuil.html

    Le texte change sa couleur chaque fois que l'une des quatre étudiantes donne la parole à une camarade.

    Bonjour à toutes et à tous !

    Nous représentons l’agence de scénographie « N'GAISTE » située à Angers.

    Scénographie pour le camp de Montreuil-Bellay

    Le 28 septembre 2012, la Mairie d’Angers a lancé un appel d’offre. Le sujet de ce Marché Public est la création d’une exposition sur le thème du Camp de nomades de Montreuil Bellay.

    Aujourd’hui, nous allons vous présenter notre vision de cette histoire trop souvent oubliée, délaissée et peut être aussi que certain voudraient effacer. Nous souhaitons agir contre cette volonté.

    Nous avons donc réfléchi ensemble et imaginé un nouveau mode d’exposition qui tenterait d’être complètement différent d’autres expositions déjà connues sur les camps d’internement et de concentration. Aussi voulons-nous exposer des objectifs précis :

    ·         Evoquer un lieu où étaient internés des milliers de nomades.

    ·   Faire prendre conscience qu’ici, proche de nous, se trouvait un camp de concentration.

     Créer un lieu de mémoire.

    ·        Proposer une nouvelle version d’une rétrospective scénographique sur un thème déjà observé.

    Nous choisissons de ne pas nous attacher entièrement à la méthodologie de l’histoire, mais plutôt de suggérer, faire appel à l’imagination du visiteur. C’est aussi le fruit d’un réel travail historique et sur des recherches que nous avons toutes quatre effectuées, chacune sur une partie différente. Ce travail n’aurait pu se faire sans Monsieur Jacques Sigot que nous vous présenterons au cours de l’exposition. Une entrevue avec lui nous a ainsi permis de mieux comprendre ce qui s’est passé.

     

    Nous nous adressons à tous les publics.

     

    Pour concevoir cette rétrospective, la Mairie d’Angers nous a attribué la salle d’exposition du Grand Théâtre. D’abord considéré comme une limite, vu les caractéristiques de la salle : une hauteur limitée à 2,40 m, un agencement difficilement modulable car circulaire. Cette première impression s’est rapidement inversée pour devenir un atout non négligeable.


    Scénographie pour le camp de Montreuil-Bellay

    Pour pénétrer dans l’exposition, nous poussons deux grandes portes. Notre regard est de suite attiré, sur la gauche, par une forte lumière qui dévoile une importante perspective où apparaissent des escaliers hauts de cinq à six marches. Le sol s’apparente à de l’herbe et, au fond, apparaît une immense photographie d’un terrain où des vaches paissent paisiblement. Nous ne savons pas à quoi correspond cette image mais elle suscite des questions : pourquoi mettre en avant une telle scène ? Que cache-t-elle ? Qu’y avait-t-il avant sur ce terrain ?

    C’est alors que sur la droite s’annonce un espace circulaire. Il s’agit d’une immense photo d’une prairie sans fin, avec écrit d’une calligraphie particulière le mot « Liberté ». Une musique de Titi Robin sourd alors qui nous plonge dans le monde tsigane.

     

    Puis, devant nous, s’ouvre une longue allée qui nous conduit sur les traces de l’Histoire. Le sol est gris bleu, les murs bleu nuit, peu éclairés. Nous avançons et, à chaque pas, des détecteurs projettent une lumière sur les murs.  Au fur et à mesure de la marche, nous découvrons successivement des affiches officielles, des décrets, des annonces… L’idée est d’expliquer comment on en est arrivé à interner les nomades.

    Scénographie pour le camp de Montreuil-Bellay

    Il y a d’abord ce qui a précédé la Seconde Guerre mondiale : l’humiliation que les allemands ont ressentie à la suite du traité de Versailles, la crise des années 30, l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir. La première carte représente les victoires du Führer et les territoires conquis : l’Autriche, puis la Pologne. Une seconde carte présente la ligne Maginot, ligne défensive derrière laquelle les Français ont attendu l’ennemi pendant ce que l’on a appelé « La Drôle de Guerre », jusqu’à l’irruption de l’armée allemande sur le territoire français. Philippe Pétain signe l’armistice le 22 juin 1940 et le territoire national se retrouve coupé en deux parties : la zone libre et la zone occupée. 

     

    L’affiche suivante montre le nouveau chef du gouvernement de la zone libre, le maréchal Pétain. Celui-ci rencontre Hitler en octobre et débute alors la collaboration avec les Allemands. Pour ce qui est des les nomades, la France n’a pas attendu l’arrivée des nazis pour prendre des mesures. Depuis 1912, ils posséder un carnet anthropométrique dans lequel se trouvent toutes les informations nécessaires à l’identification du possesseur du carnet.

     

    En 1939, plusieurs départements, dont le Maine-et-Loire et l’Indre-et-Loire, déclarent cette population « indésirable » et lui interdit de circuler librement. Le décret du 6 avril 1940 interdit la circulation des Tsiganes sur l’ensemble du territoire français et les internement commencent avant même juin. Le décret stipulant l’interdiction de circulation des nomades est la dernière affiche.

    Un jeu d’ombres et de lumières joue avec les mots, les dates et les illustrations. Après chaque passage, les affiches se mettent en veille. Attendant le prochain visiteur pour s’éclairer de nouveau. Au fond de l’allée, un discours de Pétain rappelle de manière significative le contexte historique.

     

    Musique : Titi Robin

    Puis, le visiteur découvre l’organisation du camp. Le camp de Montreuil-Bellay était un camp de concentration et non pas d’extermination ; les internés n’étaient ni maltraités, ni persécutés, ni tués. Il y eut des morts, certes, 29 décès ont été dénombrés parmi les seuls nomades, mais pour des raisons de santé, de vieillesse ou chez les nouveaux-nés. 

    Scénographie pour le camp de Montreuil-Bellay

      Il entre dans un  nouvel espace, plus exigu, qui donne à voir en premier lieu un bureau.  

    Ce bureau c’est celui du chef du camp, présent pour examiner chaque nouvel entrant, notamment à l’aide de son carnet anthropométrique – carnet qui lui servait en quelque sorte à l’époque de « pièce d’identité ». Légèrement sur la droite, se trouve une bibliothèque dans laquelle sont disposés des registres classés par date Un graphique représente l’évolution du nombre d’internés dans le camp. C’est le 2 août 1942 que le nombre maximum de Tsiganes internés a été atteint, avec 1096 détenus. Sur le bureau en bois du chef de camp se trouvent des registres ainsi que des carnets anthropométriques. Le visiteur peut alors feuilleter les différents livres qui y sont à sa disposition.

    Scénographie pour le camp de Montreuil-Bellay

    Ainsi, on s’aperçoit que ce camp n’a pas emprisonné que des nomades. En effet, le site actuel du camp a abrité dans un premier temps – au cours de l’année 1940 - des Espagnols réfugiés ayant fui leur terre natale. Ce sont les vaincus de l’armée républicaine de Franco. Considérés comme des réfugiés politiques, ils ont alors été astreints aux travaux forcés lors de la construction d’une poudrerie. Des Allemands eux, y ont été internés du 20 janvier au 20 novembre 1945, environ 800, essentiellement des femmes, transférés ensuite dans un autre camp, celui de Pithiviers dans le Loiret.

    Les registres permettent de distinguer que ces différentes populations n’ont pas été internées pendant la même période. Certains registres sont ouverts, d’autres fermés ; une lampe à pétrole éclaire ce petit espace et l’odeur de vieux papier domine. Le sol est constitué de planches et l’on entend les craquements du bois.

    Nous, visiteurs, sommes donc condamnés à entrer à l’intérieur du camp.

    Le déroulé continue sur la gauche.

    Son

    En effet dans ce même espace, nous découvrons une carte géographique présentée de façon scolaire. Elle représente le parcours des nomades au sein de toute l’Europe. Des légendes accompagnent pour expliquer de façon claire et imagée une population en fait très cosmopolite et disparate. Pendant des siècles, leur origine demeura un mystère, mais des scientifiques sont d’accords aujourd’hui pour leur attribuer une origine indienne.  

    Les nomades se défiinissent en plusieurs groupes : 

    1-Les Mânouches, ou Sintis, sont Européens mais d'origine indienne et parlent une langue également d'origine indienne. Ils sont installés en France depuis plusieurs siècles. Les Mânouches sont dans notre région de la Loire parmi les plus modestes ; certains vivent encore des véhicules hippomobiles.


    2- Les Gitans, qu'ils soient andalous ou catalans, ont connu une influence espagnole importante et ont marqué très fortement de leur personnalité la musique et la danse du flamenco. Ils résident plus au sud et vivent avec difficultés une sédentarisation forcée qui est bien souvent un échec.

    3- Les Roms. Terme couramment employé (souvent à tort) dans les médias pour regrouper sous un seul vocable des ensembles variés de populations qui auraient des mœurs similaires. Les Roms sont eux aussi un peuple européen d'origine indienne. Leurs ancêtres sont venus de la moyenne vallée du Gange, en Inde du Nord, il y a environ 1000 ans. Parvenus en Europe par l'Asie Mineure et le Bosphore, ils se sont installés d'abord dans les Balkans, puis dans les Carpates, ils vivent surtout en Europe Centrale. Les Roms, qui sont les derniers arrivés en France au cours des migrations, sont dans la majorité concentrés dans quelques grandes villes. Leur habitat est très précaire (souvent des bidonvilles). Les Mânouches et les Gitans refusent en partie d’être assimilés aux Roms.

    4- Les Yéniches sont un groupe ethnique européen. Ils sont nombreux dans le département de la Loire. Leur origine est encore mal connue. Pendant la guerre de trente ans, ils auraient quitté le Palatinat et adopté le mode de vie des Tsiganes (période palatine 1618-1623).

     

    La scénographie nous accompagne maintenant au cœur de l’historique et du quotidien du camp. Le sol est toujours recouvert de planches. Quittant le bureau, nous arrivons dans un immense espace qui reproduit l’intérieur d’un baraquement.

    Tout d’abord, le visiteur découvre sur sa gauche une très grande photo aérienne du camp de Montreuil-Bellay dont nous comprenons bien la structure.

    Scénographie pour le camp de Montreuil-Bellay

                                                                  Une maquette du camp de Montreuil-Bellay

    Juste derrière, se trouve une maquette détaillée interactive du camp d’un mètre sur un mètre cinquante. Différents boutons sur lesquels nous pouvons repérer les différentes parties du camp sont à la disposition des visiteurs. Nous distinguons les baraquements, les sanitaires, la prison, l’école… Nous prenons alors conscience d’une ville hors de la ville et qui se trouve être complètement autonome. Quand nous appuyons sur le bouton « école », celle-ci s’allume. Il y a donc un coté interactif et ludique. Nous pouvons circuler autour de cette maquette.

    C’est en la contournant que nous nous apercevons un espace composé d’une dizaine de lits. Ils représentent les différents internés du camp. En allant sur la droite, nous entendons une musique tsigane et nos yeux sont attirés par un feu de camp. Une lumière chaleureuse s’en dégage qui éclaire quelques lits d’internés. Sur le mur, se dessine en ombre chinoise reflète une roulotte à grande échelle. Cet espace illustre la culture tsigane. L’accent est mis sur celle-ci puisque le camp de Montreuil-Bellay a « accueilli » en majorité des nomades. Mais l’exposition veut surtout mettre en avant cette communauté mal connue et souvent stigmatisée.

    Continuons notre cheminement vers le fond de la pièce. Sont affichées des photos de l’époque du camp. Ensuite, le visiteur peut déambuler entre les lits qui ne sont pas disposés par hasard : ils respectent l’ordre chronologique d’entrée dans le camp. Autrefois, les internés dormaient sur de la paille, sans couverture. Les espagnols ont en effet été les premiers à être internés à Montreuil-Bellay. Le premier lit est celui d’un Espagnol ; puis suivent un Britannique, un Tsigane, un clochards raflé à Nantes, un collaborateur, un Russe blanc et enfin un civil allemand, une femme hollandaise mariée à un nazi. Les lits sont en bois avec un vieux matelas pour que le visiteur puisse s’asseoir. En vérité ils étaient superposés, mais la hauteur de plafond nous empêche de les réaliser tels quels. Les piliers reliant les deux lits gigognes sont tout de même présents avec lampe accrochée sur l’eux. En tirant sur le fil de celle-ci, la lumière s’allume et une voix retentit, celle de l’un des internés du camp. Chaque lit est doté de ce système, mais de façon à ce que les témoignages ne se nuisent pas les uns les autres.

    « Je m’appelle Pierre Epinette, j’avais 4 ans lorsque je suis arrivé dans le camp. Ma famille était nomade. Tout ce dont je me souviens, c’est du mirador. Aujourd’hui, tout le monde reste dans son coin, personne n’en parle. » 

    « Je m’appelle René Gurême. Ma famille était tsigane et était internée à Montreuil-Bellay. Moi, je me suis évadé d’un autre camp. Je venais donc chaque jour, déposer de la nourriture à ma famille en essayant de me cacher des gardiens. »

     « Je m’appelle José André Fernandez. Un garçon de chaque famille, souvent l’aîné, était emprisonné afin d’éviter les évasions. Chez nous, on ne laisse pas quelqu’un derrière nous, donc on ne s’échappait pas. Un jour de 1944, les alliés ont bombardé la voie de chemin de fer. Il y a eu mouvement de panique, tout le monde s’est précipité vers les barbelés. Les poteaux ont cédé, des gens ont pu sortir. J’ai vu une femme se faire maltraiter par un gardien. Son mari est arrivé et a coupé une oreille à ce dernier. »

    Scénographie pour le camp de Montreuil-Bellay

    Sur le mur du fond, deux fenêtres à chaque extrémité, par lesquelles nous pouvons apercevoir la voie ferrée et les barbelés. Cette voie ferrée était utilisée pour le transfert des internés et l'apport de la nourriture dans le camp. Entre les deux fenêtres, les portraits de personnes qui ont œuvré pour le camp ou qui logé dans ses baraquements : L’Abbé Jollec et les religieuses. Chacun à sa façon, en s’occupant de l’infirmerie, de l’école ou de la messe, ces personnes ont aidé les internés. Des dessins, peints par l’une des sœurs servent de témoignage à l’histoire du camp ; certains sont affichés.

    Sur l’un des murs de gauche, nous découvrons un menu de la semaine afin de montrer aux visiteurs que les internés étaient nourris, mais ils mangeaient toujours plus ou moins les mêmes aliments et en quantité insuffisante : betteraves, pommes de terres…

    Juste à côté, nous voyons la photo de l’un des gardiens du camp, un Français. Son témoignage explique qu’il avait le choix entre partir pour l’Allemagne dans le cadre du Service du Travail Obligatoire et être gardien du camp. Il a donc choisi le camp de Montreuil-Bellay.

    En nous dirigeant vers la sortie, nous sommes attirés par un film. Celui-ci nous montre la fin de la guerre, la capitulation allemande et l’ouverture des camps. Mais en découvrant les deux derniers lits occupés par des civils allemands, nous comprenons que l’histoire du camp ne s’arrête pas à la fin de la Seconde Guerre mondiale mais une année plus tard.

    Un couloir étroit, peu éclairé, nous conduit vers la sortie. Sur les murs, des photos du camp après sa fermeture. Nous remarquons alors l’état de dégradation des bâtiments et la destruction de la plupart des baraquements. La dernière photo montre le dernier bâtiment encore debout, avant qu’il ne soit rasé afin de permettre la réalisation d’un rond point qu’il ne gênait pas. En sortant de ce petit espace, le visiteur peut se diriger vers la droite pour découvrir le travail de Monsieur Sigot, accompagné de photos et de planches de bandes dessinées. Nous nous retrouvons dans un espace déjà connu : ce couloir avec les marches qui attirèrent le regard au tout début. Nous distinguons alors une photographie : celle du camp aujourd’hui et ce qu’il en reste. Enfin le visiteur se retrouve devant une stèle. C’est en réalité une reproduction de la vraie stèle située au bord de la route de Montreuil Bellay/Loudun. Devenu le lieu d’une cérémonie annuelle, l’emplacement de la stèle est plutôt mal choisi car en passant devant, peu de personnes la voient et s’y arrêtent. L’idée est vraiment de pouvoir circuler autour de cette stèle.

    C’est avec Jean-Louis Bauer, un ancien interné, que Jacques Sigot a réussi à faire accepter une stèle sur le site, stèle dont il dut assumer le financement avec des amis. Chaque année, depuis 1990, le dernier samedi d’avril, a lieu ici une cérémonie nationale officielle en hommage aux Tsiganes victimes de la Seconde Guerre mondiale.

    Pour terminer la visite de cet espace ,  s’attarder un instant devant une photo de la cérémonie.

    Scénographie pour le camp de Montreuil-Bellay

    Nous aurions souhaité installer à la sortie un mur lumineux en hommage aux disparus du camp, mais nous savons que les nomades n’aiment pas se remémorer le souvenir des disparus. Pour respecter cela, nous abandonnons pour l’instant l’idée. A la place, nous fixons sur le dernier mur de la salle une toile de papier bleu nuit sur laquelle sont disposés çà et là des spots lumineux. Sur ce grand espace nu, les visiteurs peuvent écrire leurs impressions. Des crayons de couleur blanche sont à leur disposition. C’est comme l’image d’une stèle immense sur laquelle sont recueillis les témoignages.

    En 2005, se créa une association, L’AMCT (Les Amis de la Mémoire du Camp Tsigane de Montreuil Bellay), pour essayer de protéger les vestiges de l’ancien camp. Des dossiers furent envoyés pour une demande de classement.

    Le 18 juin 2009, la Commission Régionale du Patrimoine et des Sites (CRPS), réunie au siège de la DRAC à Nantes, demanda à Jacques Sigot d’exposer le dossier de L’AMCT qui demandait l’inscription du terrain à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques. La Mairie de Montreuil était représentée par un adjoint du maire qui précisa de son côté que le passé ne devait pas hypothéquer l’avenir…

    Enfin, le site de l’ancien camp d’enfermement de Tsiganes de Montreuil Bellay fut classé Monument Historique le 8 juillet 2010. C’était un premier pas.

    Les responsables de la Drac ont aussi poursuivi le travail et ont demandé le classement, cette fois-ci comme Monument historique. La constitution de ce nouveau dossier a donc conduit au classement, ce qui est beaucoup plus important. Mais il s'avère que tout le site n'est pas compris dans le classement, sans plus d’explications. Trois parcelles sont ainsi classées.  Mais Jacques Sigot et les autres espèrent un classement pour tout le site.

    Il y a toujours à l’heure actuelle des réticences. Tout n’est pas dit, est-ce que la mairie est intervenue dans ce processus ? Est-ce que le nouveau propriétaire d'une partie du terrain de l'ancien camp interfère aussi ?

    L’entretien de la mémoire est alors un long parcours où il convient aussi de détenir une vérité, la vérité sur le plus grand camp d’internement de nomades de France.


    Pour l'historique de ce camp : Editions Wallâda 2011.

     

    Scénographie pour le camp de Montreuil-Bellay


     


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    Historique du camp 1940-1946

    AFP/DAMIEN MEYER

    Un camp tsigane sort de l'oubli

    Entre novembre 1941 et janvier 1945, 2 500 à 3 000 hommes, femmes et enfants y furent enfermés.

    Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) Envoyée spéciale

    Chaque matin, lorsqu'il va relever son courrier, Jacques Sigot s'émerveille de la silhouette élancée du château de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire), qu'il distingue au loin. Mais, ce 31 juillet, l'attention de l'ancien instituteur est retenue par une lettre recommandée avec accusé de réception de la direction régionale des affaires culturelle des Pays de la Loire.

    Certes, il a bien eu ce coup de fil du cadastre, quelques jours auparavant, qui lui a parlé d'une "bonne nouvelle", mais il n'ose croire ce qu'il lit : "J'ai l'honneur de porter à votre connaissance l'inscription au titre des monuments historiques des vestiges de l'ancien camp d'internement de Tsiganes à Montreuil-Bellay."

    Le classement porte sur les 5 hectares de ce qui fut le plus grand camp d'internement de Tsiganes en France. Entre novembre 1941 et janvier 1945, 2 500 à 3 000 hommes, femmes et enfants y furent enfermés. Cette reconnaissance arrive après trente ans de combat. Trente ans que Jacques Sigot se bat pour que cette page d'histoire, longtemps occultée, ne tombe pas dans l'oubli.

    Sur la table de sa salle à manger, haute stature, barbe blanche, le septuagénaire déballe les valises dans lesquelles il conserve des dizaines de documents et de photos. En bon instituteur "à l'ancienne", il pèse ses mots : "Ce camp ne fut ni un camp de transit, ni de travail, ni de discipline et encore moins un camp d'extermination, mais un camp de concentration au sens premier du terme. C'est d'ailleurs sous ce terme qu'il apparaît dans les archives et la presse de l'époque", ajoute-t-il.

    Venus de différents petits camps ouverts suite au décret du 6 avril 1940, signé par Albert Lebrun, dernier président de la IIIe République et qui a ordonné le rassemblement des populations nomades, des familles entières de Tsiganes et quelques clochards vécurent à Montreuil-Bellay dans le dénuement le plus complet.

    Sous la surveillance des gendarmes français, puis des jeunes gens de la région qui échappaient ainsi au service du travail obligatoire (STO), une survie s'organisa à l'ombre des barbelés et des miradors. Aucun tsigane interné à Montreuil-Bellay ne fut déporté dans les camps de la mort nazis, une centaine "seulement" moururent sur le site.

    C'est par hasard, au cours d'une promenade, que Jacques Sigot tombe, en 1980, sur des restes d'escaliers dans une prairie. Il pense d'abord à des vestiges d'usine. Personne dans le coin ne lui a parlé d'un camp. L'historien local commence alors à dévider la pelote du passé. Il fouille les registres municipaux et paroissiaux, épluche les archives, consulte des dizaines d'ouvrages.

    Il se met à la recherche d'anciens internés, un travail de fourmi qui le conduira jusqu'à Chicago. Il interroge des témoins ou acteurs de ce drame : gardiens, gendarmes, instituteurs, religieux, habitants de Montreuil-Bellay.

    En 1983, il est le premier à révéler l'existence de ce lieu dans un ouvrage intitulé Ces barbelés que découvrent l'histoire. Un camp pour les Tsiganes... et les autres. Montreuil-Bellay 1940-1946 (Editions Wallada), réédité en 1994 et 2010.

    Pendant des années, il n'a de cesse de faire connaître cette histoire. Sa femme, agrégée de français, elle aussi férue d'histoire, a heureusement ses propres passions. A eux deux, le couple a publié près d'une cinquantaine d'ouvrages.

    Qu'est ce qui pousse ce fils d'épicier, né en 1940 à Boiscommun dans le Loiret, dans cette quête ? "J'ai peut-être des barbelés dans la tête", reconnaît-il. Enfant, il a vécu à 3 km du camp juif d'internement et de transit de Beaume-la-Rolande. Il l'a même côtoyé de près. Son père, réquisitionné par les Allemands, y livrait de la nourriture. "Mon père m'a dit que j'étais souvent assis à ses côtés dans le camion. Ça a dû me marquer", analyse-t-il. A la mort de sa mère, élevé par son grand-père, il travaille aux champs.

    Encouragé par un instituteur, il poursuit ses études et rentre à l'Ecole normale d'Orléans. La France est alors en pleine guerre d'Algérie mais il a déjà lu La Question d'Henri Alleg, un livre censuré à l'époque car il dénonçait les tortures de civils. "J'ai déserté." Après plusieurs années au Maroc, il est nommé dans le petit village de Coudray-Macouard, près de Saumur. Il y enseignera jusqu'à la retraite, "vingt-deux ans en classe de CM1-CM2".

    Au fil de ses recherches, il découvre les replis sombres du camp de Montreuil-Bellay. Avant d'être réservé à "tous individus sans domicile fixe, nomades et forains, ayant le type romani", comme il est écrit dans les papiers officiels, des républicains espagnols, des militaires français en fuite, des civils de différentes nationalités y furent parqués par l'armée française ou allemande.

    Puis ce furent les Tsiganes, dans l'indifférence générale. "Le camp était un but de promenade dominicale pour les gens du coin. Ils longeaient la clôture de barbelés pour voir les internés avides d'une cigarette ou d'un morceau de pain", raconte Jacques Sigot.

    Le 16 janvier 1945, les derniers prisonniers sont transférés dans les camps de Jargeau (Loiret) et d'Angoulême, où certains restèrent jusqu'en mars 1946. Ils cédèrent leurs places à des civils, arrêtés dans l'Alsace reconquise, puis à des soldats allemands et des femmes hollandaises mariées à des nazis.

    Le 22 octobre 1946, les installations sont vendues aux enchères. "Un baraquement en dur devient salle des fêtes dans un village des Deux-Sèvres, un autre fut remonté dans la cour d'une boulangerie. Le terrain fut rendu à son propriétaire, pharmacien à Montreuil-Bellay." Une chape de plomb s'abattit sur cet épisode.

    Aujourd'hui, les automobilistes qui empruntent la départementale 347, Angers-Poitiers, ne remarquent guère les vestiges du camp. Les fondations et les plates-formes en mauvais béton sont envahies par les herbes et les vaches. Seuls les escaliers des anciens bâtiments brisent la ligne d'horizon. Tout près de l'ancienne cave prison, encore debout, une stèle, érigée le 16 janvier 1988, rappelle le passé.

    En 2005, pour essayer de préserver ce qui restait du site, Jacques Sigot et quelques amis créent l'association les Amis de la mémoire du camp tsigane (AMCT).

    Le 18 juin 2009, cette association demande l'inscription du site sur l'inventaire supplémentaire des monuments historiques. Au vu de la solidité du dossier, la direction régionale des affaires culturelles propose un classement au titre des monuments historiques. Jusqu'à ce 31 juillet, aucune nouvelle. "Ce classement est quand même un joli pied de nez à l'actualité, après les déclarations de Nicolas Sarkozy, sur les Tsiganes et les Roms", se réjouit l'ancien instituteur.

    Quel sera désormais l'avenir du camp ? L'AMCT voudrait protéger les ruines par des toits en ardoise, remettre en état les barbelés et installer des panneaux indicatifs. De son côté, la mairie a demandé depuis plusieurs mois l'inscription du site en zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP). Ce dispositif lui permettrait de supprimer certaines contraintes du classement, notamment l'interdiction de construire dans un périmètre de 500 mètres. "Pour préserver le passé, il ne faut pas hypothéquer l'avenir", avertit Denis Ambrois, premier adjoint au maire.

    La mairie s'inquiète de ne pas pouvoir développer la zone industrielle toute proche. Un projet d'entrepôt de produits chimiques dont une partie est classée Seveso seuil haut, trop proche de l'ancien camp, risque d'être abandonné. "Il faut penser aux conséquences économiques et trouver un compromis", explique l'élu.

    Jacques Sigot fait partie des opposants les plus farouches à la construction de cet entrepôt. Il se battra : les longs combats ne lui font pas peur.

    Catherine Rollot

    Article paru dans l'édition du 10.08.10.


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