• Un article dans le Monde pleine page 3

     

     

    Historique du camp 1940-1946

    AFP/DAMIEN MEYER

    Un camp tsigane sort de l'oubli

    Entre novembre 1941 et janvier 1945, 2 500 à 3 000 hommes, femmes et enfants y furent enfermés.

    Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) Envoyée spéciale

    Chaque matin, lorsqu'il va relever son courrier, Jacques Sigot s'émerveille de la silhouette élancée du château de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire), qu'il distingue au loin. Mais, ce 31 juillet, l'attention de l'ancien instituteur est retenue par une lettre recommandée avec accusé de réception de la direction régionale des affaires culturelle des Pays de la Loire.

    Certes, il a bien eu ce coup de fil du cadastre, quelques jours auparavant, qui lui a parlé d'une "bonne nouvelle", mais il n'ose croire ce qu'il lit : "J'ai l'honneur de porter à votre connaissance l'inscription au titre des monuments historiques des vestiges de l'ancien camp d'internement de Tsiganes à Montreuil-Bellay."

    Le classement porte sur les 5 hectares de ce qui fut le plus grand camp d'internement de Tsiganes en France. Entre novembre 1941 et janvier 1945, 2 500 à 3 000 hommes, femmes et enfants y furent enfermés. Cette reconnaissance arrive après trente ans de combat. Trente ans que Jacques Sigot se bat pour que cette page d'histoire, longtemps occultée, ne tombe pas dans l'oubli.

    Sur la table de sa salle à manger, haute stature, barbe blanche, le septuagénaire déballe les valises dans lesquelles il conserve des dizaines de documents et de photos. En bon instituteur "à l'ancienne", il pèse ses mots : "Ce camp ne fut ni un camp de transit, ni de travail, ni de discipline et encore moins un camp d'extermination, mais un camp de concentration au sens premier du terme. C'est d'ailleurs sous ce terme qu'il apparaît dans les archives et la presse de l'époque", ajoute-t-il.

    Venus de différents petits camps ouverts suite au décret du 6 avril 1940, signé par Albert Lebrun, dernier président de la IIIe République et qui a ordonné le rassemblement des populations nomades, des familles entières de Tsiganes et quelques clochards vécurent à Montreuil-Bellay dans le dénuement le plus complet.

    Sous la surveillance des gendarmes français, puis des jeunes gens de la région qui échappaient ainsi au service du travail obligatoire (STO), une survie s'organisa à l'ombre des barbelés et des miradors. Aucun tsigane interné à Montreuil-Bellay ne fut déporté dans les camps de la mort nazis, une centaine "seulement" moururent sur le site.

    C'est par hasard, au cours d'une promenade, que Jacques Sigot tombe, en 1980, sur des restes d'escaliers dans une prairie. Il pense d'abord à des vestiges d'usine. Personne dans le coin ne lui a parlé d'un camp. L'historien local commence alors à dévider la pelote du passé. Il fouille les registres municipaux et paroissiaux, épluche les archives, consulte des dizaines d'ouvrages.

    Il se met à la recherche d'anciens internés, un travail de fourmi qui le conduira jusqu'à Chicago. Il interroge des témoins ou acteurs de ce drame : gardiens, gendarmes, instituteurs, religieux, habitants de Montreuil-Bellay.

    En 1983, il est le premier à révéler l'existence de ce lieu dans un ouvrage intitulé Ces barbelés que découvrent l'histoire. Un camp pour les Tsiganes... et les autres. Montreuil-Bellay 1940-1946 (Editions Wallada), réédité en 1994 et 2010.

    Pendant des années, il n'a de cesse de faire connaître cette histoire. Sa femme, agrégée de français, elle aussi férue d'histoire, a heureusement ses propres passions. A eux deux, le couple a publié près d'une cinquantaine d'ouvrages.

    Qu'est ce qui pousse ce fils d'épicier, né en 1940 à Boiscommun dans le Loiret, dans cette quête ? "J'ai peut-être des barbelés dans la tête", reconnaît-il. Enfant, il a vécu à 3 km du camp juif d'internement et de transit de Beaume-la-Rolande. Il l'a même côtoyé de près. Son père, réquisitionné par les Allemands, y livrait de la nourriture. "Mon père m'a dit que j'étais souvent assis à ses côtés dans le camion. Ça a dû me marquer", analyse-t-il. A la mort de sa mère, élevé par son grand-père, il travaille aux champs.

    Encouragé par un instituteur, il poursuit ses études et rentre à l'Ecole normale d'Orléans. La France est alors en pleine guerre d'Algérie mais il a déjà lu La Question d'Henri Alleg, un livre censuré à l'époque car il dénonçait les tortures de civils. "J'ai déserté." Après plusieurs années au Maroc, il est nommé dans le petit village de Coudray-Macouard, près de Saumur. Il y enseignera jusqu'à la retraite, "vingt-deux ans en classe de CM1-CM2".

    Au fil de ses recherches, il découvre les replis sombres du camp de Montreuil-Bellay. Avant d'être réservé à "tous individus sans domicile fixe, nomades et forains, ayant le type romani", comme il est écrit dans les papiers officiels, des républicains espagnols, des militaires français en fuite, des civils de différentes nationalités y furent parqués par l'armée française ou allemande.

    Puis ce furent les Tsiganes, dans l'indifférence générale. "Le camp était un but de promenade dominicale pour les gens du coin. Ils longeaient la clôture de barbelés pour voir les internés avides d'une cigarette ou d'un morceau de pain", raconte Jacques Sigot.

    Le 16 janvier 1945, les derniers prisonniers sont transférés dans les camps de Jargeau (Loiret) et d'Angoulême, où certains restèrent jusqu'en mars 1946. Ils cédèrent leurs places à des civils, arrêtés dans l'Alsace reconquise, puis à des soldats allemands et des femmes hollandaises mariées à des nazis.

    Le 22 octobre 1946, les installations sont vendues aux enchères. "Un baraquement en dur devient salle des fêtes dans un village des Deux-Sèvres, un autre fut remonté dans la cour d'une boulangerie. Le terrain fut rendu à son propriétaire, pharmacien à Montreuil-Bellay." Une chape de plomb s'abattit sur cet épisode.

    Aujourd'hui, les automobilistes qui empruntent la départementale 347, Angers-Poitiers, ne remarquent guère les vestiges du camp. Les fondations et les plates-formes en mauvais béton sont envahies par les herbes et les vaches. Seuls les escaliers des anciens bâtiments brisent la ligne d'horizon. Tout près de l'ancienne cave prison, encore debout, une stèle, érigée le 16 janvier 1988, rappelle le passé.

    En 2005, pour essayer de préserver ce qui restait du site, Jacques Sigot et quelques amis créent l'association les Amis de la mémoire du camp tsigane (AMCT).

    Le 18 juin 2009, cette association demande l'inscription du site sur l'inventaire supplémentaire des monuments historiques. Au vu de la solidité du dossier, la direction régionale des affaires culturelles propose un classement au titre des monuments historiques. Jusqu'à ce 31 juillet, aucune nouvelle. "Ce classement est quand même un joli pied de nez à l'actualité, après les déclarations de Nicolas Sarkozy, sur les Tsiganes et les Roms", se réjouit l'ancien instituteur.

    Quel sera désormais l'avenir du camp ? L'AMCT voudrait protéger les ruines par des toits en ardoise, remettre en état les barbelés et installer des panneaux indicatifs. De son côté, la mairie a demandé depuis plusieurs mois l'inscription du site en zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP). Ce dispositif lui permettrait de supprimer certaines contraintes du classement, notamment l'interdiction de construire dans un périmètre de 500 mètres. "Pour préserver le passé, il ne faut pas hypothéquer l'avenir", avertit Denis Ambrois, premier adjoint au maire.

    La mairie s'inquiète de ne pas pouvoir développer la zone industrielle toute proche. Un projet d'entrepôt de produits chimiques dont une partie est classée Seveso seuil haut, trop proche de l'ancien camp, risque d'être abandonné. "Il faut penser aux conséquences économiques et trouver un compromis", explique l'élu.

    Jacques Sigot fait partie des opposants les plus farouches à la construction de cet entrepôt. Il se battra : les longs combats ne lui font pas peur.

    Catherine Rollot

    Article paru dans l'édition du 10.08.10.


  • Commentaires

    3
    Vanessa
    Jeudi 18 Juin 2015 à 19:32

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    2
    Jacques Sigot
    Jeudi 5 Février 2015 à 17:26

    Monsieur Helfritt,

    Très ému à la lecture de votre commentaire qui a tant d'écho en moi. Si vous pouviez me joindre par mail, je serais très heureux de correspondre avec vous : jacquesjenny.sigot@fr

     

    1
    Helfritt
    Jeudi 5 Février 2015 à 17:05

    Bonjour M. Sigot,

    Mes grands-parents ont été internés avec leurs enfants dont mon oncle est né dans le camp . Ma tante est allée dans un institut de religieuses pendant plusieurs années ( essayer de lui donner un autre mode de vie et lui faire oublier le sien). Mon grand-père a été déporté en Allemagne avec le convoi partant de Compîègne le 24 janvier 1943 pour des raisons non connu. .Actuellement, ma tante (ainée de la famille ) a 88 ans.  J'approuve votre dévouement pour honorer la mémoire des tziganes (victimes de génocide) et peu de personnes s'intéressent à l'acharnement subi lors de la deuxième guerre mondiale . Effectivement, les personnes qui ont vécu cette période atroce sont peu nombreuses et très âgées. Dans quelques années, il n'y aura plus de témoignages .

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